Quartier à la Une : Dans cette cité, on ne veut plus entendre «Imbécile»

À Hann / Bel-Air, une des 19 communes de Dakar, est niché un quartier malfamé appelé «Cité Imbécile». Un décor sans pareil. Des maisons majoritairement constituées de baraquements. Les lieux manquent quasiment de tout. Peuplée de quelques centaines de familles, nichée entre Yarakh et l’autoroute, cette localité est à l’image de ces habitations de fortune aménagées dans certains coins de Dakar. L’installation anarchique des populations d’origines Sénégalaises, Maliennes, Guinéennes, Togolaises, Ghanéennes, entre autres, dans ce quartier a été un facteur explicatif du choix du nom de… Cité Imbécile. Une cité fréquentée dans le passé par des malfaiteurs qui allaient s'y réfugier après leurs forfaits. Mais le nom “Cité imbécile” importune tellement les populations qu'ils ont fini de rebaptiser le quartier “Darou Salam” (la maison de la paix). Celles-ci ont depuis lors décidé de barrer la route aux malfrats et vivent désormais paisiblement. Reportage.

Peu de gens connaissent le quartier. Les rares ont seulement eu vent du nom atypique. Rien de plus.  Le seul, habilité à parler de la Cité est le vieux Mbaye Diouf, chef de quartier. Mbaye Diouf, est le patriarche de cette localité aujourd’hui, appelée Yarakh Kipp. Cet octogénaire au physique de lutteur, n’est pas peu fier d’être père-fondateur de la “cité Imbécile”.

«De Bel Air à la Gare de Colobane, de ceux qui vivent jusqu’à nos jours, je suis le plus âgé et le premier à m’installer ici, assure-t-il, en s’agitant sur la natte posée à même le sable bien tamisé. Tous ces baraquements, c’est moi qui les ai installés dans cette partie de Dakar appelée aujourd’hui Yarakh Kipp. Mais, il y a eu une extension de la localité avec la constitution d’autres quartiers. Le maire s’appelait Amadou Dia. Il est venu une fois me demander de lui donner le nom de notre coin. Je lui avais dit que la localité s’appelait Hann/Bel-Air. C’est l’appellation qu’on avait donnée à la zone. Ce quartier est peuplé de personnes aux activités diverses. Il y a, entre autres, des femmes de ménages, des lingères, des chauffeurs de taxi, etc. C’est dire que différentes activités licites rémunératrices de revenus ont leurs spécialistes dans notre zone», explique le vieux.

Au commencement, poussait l’oseille
 

Tout est parti du début des années 1960. «Je me suis installé dans cette localité depuis 1963. À mon arrivée, elle n’était qu’une zone où l’on cultivait de l’oseille, rembobine Mbaye Diouf. C’était un monsieur du nom de Mbengue Diop qui y cultivait des légumes à l’époque. Je suis allé le voir pour lui demander de me céder une partie des terres pour me permettre d’y mener quelques activités et y creuser un puits. Lors de nos échanges, il m’a avoué que les terres ne lui appartenaient pas et que c’était une partie du domaine national. Il m’a, cependant, demandé de lui donner 3 000 FCFA en échange. C’est depuis ce temps que je me suis installé dans cette zone. C’était, il y a 52 ans. Je cultivais de la fraise, de la salade, de l’oignon, du haricot et de la pomme de terre. Ce sont sur ces terres-là que j’ai érigé des baraquements. Je ne pouvais plus cultiver la terre.»

Un loyer nulle par ailleurs

Cette localité de plusieurs centaines d’âmes est livrée à la précarité et ignorée par les autorités publiques. Les difficultés y sont nombreuses. Basiques ! Pour se procurer de l’eau, par exemple, les habitants de la «Cité imbécile» comptent sur la générosité d’un industriel dont l’usine est située non loin, qui leur offre gratuitement le liquide précieux.

«Il n’y a point de branchement de la Sde (Société des eaux du Sénégal), dénonce le chef de quartier. Mais, nous ne pouvons pas nous en plaindre. Parce qu’on nous dira que c’est un quartier flottant. Pour ne pas prendre le risque de se faire humilier, on s’est abstenu de réclamer quoi que ce soit pour le bien-être de la population locale. Voyez vous-même l’état des habitations. Ce sont des logements qui n’accueillent que des pauvres, des gens dépourvus de moyens. En atteste le coût du logement dans le coin qui ne fait que 10.000 FCFA par chambre. Ce prix-là, on ne peut pas l’avoir ailleurs. C’est dire, encore une fois, que les autorités sont insensibles à notre sort. Sinon, elles nous auraient soutenus. A défaut, elles nous auraient laissé tranquillement dans notre coin. Mais, au lieu de cela, elles veulent nous déloger pour préparer la mise en œuvre du Train express régional (Ter).»

Sur le point de déguerpir…

Alors que les projecteurs étaient orientés vers la ‘’Cité Imbécile’’, nous avons appris qu’un deadline a été donnée à une partie de la population pour quitter les lieux. «Nous avions été convoqués à la mairie il y a quelques semaines, confie le patriarche. Sur place, nos interlocuteurs nous ont informés qu’un délai nous était fixé pour que l’on vide les lieux. La date limite est fixée au 31 décembre 2016. La précision qui nous a été faite à la mairie est qu’il n’existe pas de site de recasement pour les sinistrés que nous serons dans 2 mois. Il est seulement prévu, pour les locataires une indemnisation pouvant leur permettre de payer 6 mois de location.»

Quant aux propriétaires des baraquements, poursuit le vieux, «ils disent qu’ils verront comment les dédommager ». Il ajoute : «J’ignore le nombre de concessions qui seront rasées. Je sais par contre que j’ai 29 chambres qui vont être détruites. Au soir du 31 décembre 2016, ils ne veulent trouver aucun baraquement dans la zone ciblée.»

Macky doit suivre l’exemple de Wade

La zone est enclavée. Elle est située non loin d’un pont de plusieurs décennies qui servait de passage d’un train qui reliait Yarakh et une carrière située aux environs de Ouakam. Les latrines y font défaut. Le système d’assainissement est bancal. Poussant les habitants des maisons longeant la voie ferrée à se soulager à l’air libre.

Cette situation intenable amène le vieux Mbaye Diouf à lancer un appel au chef de l’État.  « Je dois dire que le président Macky Sall devait faire comme son prédécesseur avant que les autorités ne procèdent à notre déguerpissement. Me Wade, avant l’implantation des murs de clôture du chemin de fer, s’était donné la peine d’emprunter un train qui l’a mené de Dakar à Bargny. Cela lui avait permis de constater l’impact des travaux sur les sites.  Aujourd’hui, du fait de ce projet en gestation, je peux dire qu’une superficie égale à une piste d’atterrissage d’un avion va être débarrassée de ses populations. C’est vous dire comment est large le site qui sera déguerpi», renseigne le patriarche.

Elle n’est plus Imbécile

Une virée dans le quartier voisin a permis de rencontrer le vieux Mamadou Diop. Le délégué de quartier de Yarakh Kip, en a profité pour mettre les points sur les ‘’i’’.  La Cité des Imbéciles, dit-il, a changé de nom pour devenir Darou Salam. Seulement, les habitants de cette cité susnommée ne dépendent pas de son quartier pour obtenir certains documents. «Ils ne peuvent pas dépendre de ma zone de compétence, mais d’une autre. Mais, comme celle-ci refuse de les prendre en charge concernant la délivrance du Certificat de domicile, il m’est arrivé de prendre sur moi le risque de le leur délivrer d’autant plus qu’ils sont Sénégalais. Ce, pour qu’ils puissent compléter les documents nécessaires à la confection de Cartes nationales d’identité, de Permis de conduire etc. Mais, pour ceux qui habitent dans des maisons dépourvues de numéro, je me refuse de leur délivrer le document», a confié le délégué.

«Moi, je suis là (à Yarakh Kipp) depuis 1958. J’ai été une seule fois dans cette Cité. Tout simplement parce que c’est l’appellation qui me donne des sueurs froides. Certains pensent que c’est une partie de Yarakh Kip. Mais normalement, cette localité devait faire partie de Santhie. Il faut rappeler que notre quartier a été érigé bien avant les autres. Ce sont les Travaux publics qui avaient construit les bâtiments qui sont là pour leurs ouvriers afin qu’ils soient disponibles en cas de besoin. C’est cela l’origine de Yarakh Kip. Pour ce qui est de cette appellation de “Cité imbécile”, je peux dire que je l’évoque rarement du fait de son qualificatif qui fait craindre. Heureusement, que le nom a changé pour devenir Darou Salam», se réjouit le vieux Diop.

Youssoupha MINE